GUS VAN SANT : ONIRISME ET POP CULTURE
- Julia SOLANS
- 9 déc. 2018
- 3 min de lecture
Avoir le pouvoir du temps, élargir la conscience humaine et inviter la pop culture à faire quelques apparitions. Gus Van Sant, toujours à contre-courant, en a fait sa principale mission. Photographe, réalisateur et même dessinateur, l'Américain intègre toutes les matières possibles dans ses œuvres. Dès Mala Noche, premier long-métrage en 1985, le créateur impose déjà sa marque de fabrique : absence de dialogues, filtre N&B, surcadrages et caméras Super-8. Un pari qui pourrait paraître fou mais Gus Van Sant ne veut suivre aucun exemple cinématographique.

Le temps. Une notion incontournable. Les voyages entre passé et présent défilent et perdent le spectateur entre deux dimensions. Façon kaléidoscope, le rythme se casse et détruit la réalité de l'image. Des miroitements viennent troubler l'esprit et provoquent cette discontinuité temporelle si chère au réalisateur. Gus Van Sant s'approprie très rapidement le ciel et ses nuages pour en faire définitivement sa muse. Ces doux nuages défilants à la vitesse de la lumière reviennent dans chaque œuvre. Mala Noche (1985), Drugstore Cowboy (1989) ou encore My Own Private Idaho (1991) : les basiques n'y échappent pas.
Le rêve. Une obsession pour Gus Van Sant qui ne cesse de faire rêver ses personnages mais aussi ses spectateurs. Réaliser un plan séquence pendant de longues minutes en plein désert, dans un silence pesant, n'est qu'une banalité pour l'Américain. Expérience confirmée dans Gerry (2002). Retrouver un jeune narcoleptique construit la base de My Own Private Idaho. Le personnage se met à rêver et nous transporte vers l'onirisme, monde si visité mais peu compréhensible. Dans un enchaînement rapide d'images sans véritable liens, le spectateur observe et contemple un monde inconnu.

La jeunesse. Et ses dérives. Jeunes adultes qui refusent de franchir le cap des responsabilités. Une formule concoctée, mélangée et rénovée dans chaque long-métrage. Errer sur la Route 66 dans My Own Private Idaho ou s'échapper de la réalité grâce aux drogues dans Drugstore Cowboy, le résultat en est le même. Ces jeunes ne veulent pas grandir. Et Gus Van Sant s'en amuse. Comme une photographie en mouvement, le réalisateur temporise l'action et n'hésite pas à faire contempler le paysage américain pendant de longues secondes. D'un silence laissé par la nature, la caméra vient filmer le visage perdu du personnage, les yeux vides de sens et d'émotions. Mais cette perdition calme dévoile le message du film.
La pop culture. Cinéaste passionné, Gus Van Sant puise pourtant ses inspirations ailleurs. De Salvador Dali, Roy Lichtenstein à Andy Warhol, il est avant tout artiste. Bien loin des cases imposées par la société, le réalisateur suit ses propres règles. En surimpression d'images, Gus Van Sant est en avance sur son temps. Des couvertures de magazines populaires aux petits points formant un visage dans Prête à tout (1995), la pop culture apparaît sous toutes ses formes. Créateur de la célèbre Girl with Hair Ribbon en 1965, Roy Lichtenstein est très largement emprunté par le cinéaste. Une infinité de points surréalistes viennent dessiner les traits du personnage. Utiliser toutes les matières artistiques pour créer son chef d'œuvre, un geste très bien compris par Les Cahiers du cinéma en 1992 : "Mélangeant à plaisir les tons et les genres, télescopant et détournant les esthétiques les plus diverses, ne reculant devant aucune rupture de ton, devant aucun mixage esthétique, mélangeant Shakespeare et Andy Warhol, la beat generation et le western." Oui, Gus Van Sant est un Allen Ginsberg des temps modernes.


J.S
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